Si vous étiez à l’université au début des années 2000, la couverture du DVD de Ghost Dog: The Way of the Samurai vous est sûrement familière. Ce thriller policier centré sur un personnage créé par Jim Jarmusch en 1999 est une méditation un peu bizarre sur… eh bien, c’est justement la question, pas vrai ?
Doit-on « étiqueter » un film pour en profiter?
Ghost Dog de Jim Jarmusch réponds à cette question par NON.
Ghost Dog ne craint pas son absurdité. Basé autour du personnage de Ghost Dog (Forest Whitaker), un tueur à gages qui s’imprègne de la tradition orientale des samouraïs, le film est présenté à la fois comme un récit linéaire et comme une vignette dans la tradition de « Coffee and Cigarettes » également de Jarmusch. Des segments du film sont introduits avec des passages et des textes du Hagakure, le livre des samouraïs, qui nous informent non seulement des thèmes du film mais nous révèlent en plus les événements à venir.
À la fois film de masse, d’exploration de la philosophie orientale alimentée par le hip-hop des années 90, et d’un Forest Whittaker tête d’affiche qui déchire tout, Ghost Dog défie la caractérisation typique. Juste au moment où l’on croit avoir compris Ghost Dog, le public est accueilli avec un clip de The Itchy and Scratchy Show, le dessin animé sanguinolant des Simpsons, juste avant une scène sans fioritures et imbibée de sang. Ça claque ! Et il y a au moins une demi-douzaine de clips de dessins animés parsemés dans Ghost Dog, de Woody Woodpecker à Betty Boop et si on se pose la question de pourquoi.. on aurait du mal à trouver une vraie bonne raison.
Certains thèmes par exemple sont facilement détectables – à partir du moment où Whittaker prends le livre de poche en lambeaux de Rashōmon de Louise Vargo (Tricia Vessey), les téléspectateurs sont impatients de relever les différences de points de vue flashback – en particulier le subtil (mais important) changement entre la façon dont Louie (John Tormey) et Ghost Dog se souviennent de leur première rencontre.
Il y a aussi un courant sous-jacent sur la perception de la communauté et de l’acte d’altérer. Alors que Ghost Dog est la cible d’une foule qui crie vengeance pendant l’intégralité du deuxième acte (une vengeance qui, honnêtement, n’a pas beaucoup de sens), il est capable de regarder littéralement ses poursuivants dans les yeux. sans crainte d’être reconnu.
Tout le monde dans la rue connaît Ghost Dog, et à travers l’amitié de Ghost Dog avec Raymond (Isaach De Bankolé), un « Ice man » francophone d’origine haïtienne, Jarmusch démontre que le respect, le statut et l’honneur ne sont pas que des vains mots, mais des croyances personnelles qui transcendent les barrières linguistiques ou le statut social.
Dans les nombreuses scènes où les diatribes racistes fusent de la part des chefs de la mafia, entrecoupées d’interprétations mafieuses de Flava Flav, Jarmusch nous montre que une mafia décadente qui est en train de perdre ses fondamentaux basés sur le respect, statut et honneur, tandis que Ghost Dog et sa communauté vivent dans ce code d’honneur. Le contraste est puissant.
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Tous les éléments disparates du film reposent sur les épaules de Whitaker. Jarmusch a déclaré que le rôle avait été écrit en pensant à lui, et s’il n’avait pas accepté, le film ne se serait jamais matérialisé. Attention ce n’est pas le Whitaker déséquilibré de Rogue One ou Battlefield Earth, mais un personnage beaucoup plus discret et introspectif, qui jongle avec l’absurdité d’un tueur à gages samouraï des temps modernes qui fait tourner son arme comme un katana avec des significations plus profondes sur la mort, le sens des responsabilités et de l’existence.
Et n’oublions pas la bande originale de Ghost Dog qui à droit à une mention spéciale.. d’ailleurs j’écris ces quelques lignes en l’écoutant une nouvelle fois. Produit par RZA de Wu-Tang Clan (sa première contribution au film), la musique de RZA colle parfaitement à l’intrigue et aux personnages du film. Des freestyles aux rythmes subtils mais palpitants, Ghost Dog / Whitaker a toujours un CD en tête pour l’associer à chaque mission.
Vous n’avez donc pas à «étiqueter» Ghost Dog pour en profiter pleinement; c’est une expérience interprétative « open mind », qui donne un sentiment, une humeur, quelque chose qui vous accompagne même si vous avez du mal à expliquer pourquoi. Ce n’est pas un hasard si beaucoup d’entre nous qui sommes déjà arrivé à l’âge de la maturité, avons dans nos vieux cartons une vieille cassette vhs enregistrée sur Canal +, un poster enroulé ou un cd de la bande originale. Le temps passe et le message de cette masterpiece s’installe tranquillement dans notre imaginaire.
Benjamin Blanco – Nomad24
Super critique du film en anglais dans le site de Elements of Madness
Article original du site Live Sensei