« Le plus grand voyageur n’est pas celui qui a fait dix fois le tour du monde, mais celui qui a fait une seule fois le tour de lui-même. »
Gandhi
Cet article est inspiré d’une conversation que j’ai eue il y a bien des années sur une plage bucolique de Phuket, loin du bruit et du stress, accompagné de mon bon ami Hiro, architecte tokyoïte, épicurien et adepte du bouddhisme « fonctionnel ». Nous avions tous les deux participé, quelques jours auparavant, à un forum international sur la transformation numérique à Bangkok, et après quelques bières, la discussion a changé de cap après un commentaire fait par Hiro sur la difficulté pour un nomade de se définir, d’entretenir des relations stables et de chercher un sens à ces nombreux déménagements.
Je dois avouer qu’à l’époque je pensais que vouloir tout mettre dans des cases tout comme l’analyse continuelle de nos émotions n’avaient pas beaucoup d’importance dans un contexte qui m’avait obligé à laisser ma délicatesse au placard. Puisqu’en réalité mon seul but était de rentabiliser mon entreprise et celles de mes clients. Mon vocabulaire se cantonnait à des mots comme : Cashflow opératif, Performances ROI, Data collection, Types de rentabilité, Inbound Marketing et Taux de rebond…
« Nous sommes qui nous sommes, que m’importe l’avis de gens qui ne font que passer..
Ma réponse à Hiro.
alors pourquoi s’embêter à mettre une étiquette sur tout ? »
Malgré ma réponse, je dois admettre que d’une certaine manière, nous nous sommes mis d’accord sur le fait que pour vivre une vie de nomade, il faut realiser certains sacrifices matériels et surtout éliminer beaucoup de choses superflus, ce qui se traduit également par la difficulté de maintenir des liens d’amitié avec des sédentaires.
Maintenant, si on réfléchi un instant sur la définition du mot « nomade », on peut facilement trouver beaucoup de critères et chacun fera sa sauce.
Pour moi, un nomade, c’est quelqu’un qui se déplace sans cesse sans un lieu définitif qu’il appelle chez lui… Mais est-ce suffisant pour résumer toute la réalité complexe qui peut exister, après des milliers de personnes qui prennent la décision de vivre en marge.. mais en marge de quoi ?
Quel est le but existentiel derrière l’exercice de parcourir le monde ?
Après des années d’errance, et contrairement à ces milliers de salariés américains qui vivent dans leurs véhicules voyageant de ville en ville, au rythme des offres d’emplois temporaires, j’ai pu savourer chaque instant de ma liberté. Au fil du temps, j’ai pu laisser derrière moi ces conneries de courtier ( j’ai encore un vieux tatouage Cash Rules qui me rappelle cette époque ), même si je continue avec les stigmates, et j’ai pu me concentrer sur la recherche d’une plus grande liberté en termes non plus quantitatifs mais qualitatifs. Et, avec tout cela, il y a quelques choses que j’ai apprises en fonction de ma propre expérience et de celles de centaines d’autres nomades que j’ai rencontrés en cours de route.
À la recherche.. de liberté
Si vous vivez comme 95% des personnes qui travaillent de 9:00 am à 5.00 pm, avez une famille, des enfants et une situation de vie stable, vous n’avez vraiment pas besoin d’y penser, ( ou du moins c’est ce que pensez-vous ) parce que pour vous la vie se déroule plus ou moins comme tout le monde et cela suffit pour continuer un autre jour, se sentir satisfait ou non. Mais si vous ne suivez pas les règles d’une société agraire, il est probable que vous ayez du mal à résumer votre façon de penser et comment vous gagnez votre vie.
Vu de l’extérieur, tout cela peut donner l’impression que « la fin ne sera pas forcément agréable » ( sans maison, sans économies, sans amour véritable, sans travail à 40 ans .. niveau Rémi sans famille ) et il est fort probable que vous reviendrez sur cette « folie passagère ». » et que vous rentriez au bercail.
Laissant de côté toutes ces considérations matérielles, étant nomade, vous commencez à rencontrer des complications lorsque vous essayez de donner un sens à ce que vous faites. A trop penser, à trop en faire et à trop réfléchir, on en perd l’essentiel. En même temps, vous vous rendrez compte que vous n’êtes peut-être plus aussi perdu au milieu de nulle part, mais que vous êtes simplement là où vous avez choisi d’être et en plus avec la satisfaction d’être maître de chaque décision, aussi petite soit-elle. Même lorsque vous réalisez parfois que vous vous engagez sur un chemin qui ne vous mène probablement nulle part, cette réalité peut vous offrir une certaine sérénité que vous n’avez jamais connue auparavant, même si les épisodes de détresse ne sont jamais très loin.
A l’heure où la culture est soumise aux règles et aux diktats du marché qui la rendent dépendante, le nomadisme peut offrir une distance pour accéder à une pensée véritablement libre, profonde et émancipatrice. C’est après tout l’essence de la liberté en tant qu’individu.
De par la rapidité du développement technologique de nos sociétés, l’être humain engendre un doute métaphysique sur lui-même, sur sa place dans le monde et sur la raison de son existence. La plupart de nos jugements sont conditionnés par l’habitude, notre connaissance est faite d’opinions, opinions qui, du reste, s’opposent souvent entre elles. Pour entreprendre la recherche de la vérité, il faut donc « une fois » en sa vie douter « de toutes les choses où l’on aperçoit le moindre soupçon d’incertitude ».
Voici un extrait d’un essai majeur pour comprendre l’adhésion populaire aux idéologies mortifères.
« Nous voyons ainsi comment le processus de croissance de la liberté humaine a le même caractère dialectique que nous avons remarqué dans le processus de croissance individuelle. D’une part, c’est un processus de croissance de leur force et de leur intégration, de leur domination sur la nature, de la puissance de leur raison et de leur solidarité avec les autres êtres humains. Mais, d’un autre côté, cette individuation croissante signifie une augmentation progressive de leur insécurité et de leur isolement et, par conséquent, un doute croissant sur leur propre rôle dans l’univers, le sens de leur propre vie, et avec tout cela, un sentiment croissant de sa propre impuissance et insignifiance en tant qu’individu. – Erich Fromm – Peur de la liberté
« Apprenez a vous connaître. Ne prenez pas l’admiration que votre chiot éprouve pour vous comme une preuve concluante à quel point vous êtes merveilleux. »
Ann Landers
À la recherche.. d’intégration
“Pour être un membre irréprochable parmi une communauté de moutons, il faut avant toute chose être soi-même un mouton.” Si vous savez qui vous êtes et trouvez une définition claire pour vous présenter au monde extérieur, votre petit chaos deviendra prévisible et même socialement acceptable. Soudain, vous devenez un être légitime, qualifié d’« extravagant » mais pas assez pour être qualifié de subversif.. mais on ne sait jamais ! Si les personnes de votre entourage peuvent reconnaître en vous « un modèle » qui définisse votre comportement, et ainsi vous étiquetter comme « ceci ou cela » ils seront plus susceptibles de vous accepter. Mon conseil serait de « diluer » votre véritable essence pour être compris par votre environnement. Le prix est acceptable pour que les gens autour de vous acceptent votre mode de vie, même si la distanciation sera inévitable avec le temps.
Les timides, et dieu sait s’y j’en connais, se sentent parfois obligés de briller d’intelligence et de profondeur à la moindre de leurs conversations pour expliquer que leur travail est bien plus compliqué qu’il n’y parait etc. La vérité c’est que vous allez vous coucher à 5.00 AM, déjeuner à l´heure du goûter et vous vous permettez même le luxe de faire la sieste coller à votre chat, de visiter des musées un lundi. Et la semaine prochaine pourquoi pas un petit saut en Ardèche histoire de perfectionner ses techniques de permaculture.. Demandez à votre beau-frère le résumé de sa semaine.
« Je peux enseigner à n’importe qui comment obtenir ce qu’il veut dans la vie. Le problème, c’est que je ne trouve pas quelqu’un qui puisse me dire ce qu’il veut. »
Mark Twain
A la recherche.. de sens
Il n’est pas rare qu’une personne ne sache pas ce qu’elle pourrait apporter d’autre à la société ou à l’univers pour les plus métaphysiques. Il est courant de trouver des gens qui ont l’impression que tout est inventé, que tous les livres ont été écrits, les bonnes chansons chantées… C’est parce qu’ils font l’erreur de se comparer d’une manière aussi vulgaire !
Tout au long de son histoire, l’humanité a utilisé son passé pour continuellement recycler et transformer sa culture. Les artistes passent leur vie à décrire le monde à travers un prisme très personnel. Utilisons le même procédé pour nous tous. Mais ne vous y trompez pas, il s’agit d’un long et douloureux processus d’introspection et comme un vieux mineur, vous devrez vous résigner à extraire beaucoup de sable dont vous filtrerez ensuite patiemment quelques particules d’or. Ces blessures émotionnelles représentent le prix à payer pour être soi-même.
A force d’essayer de creuser dans votre identité, vous finirez par créer votre propre histoire. Et qui n’aime pas une bonne histoire ?
Cela vous aidera à expliquer qui vous êtes et qui vous ne voulez pas devenir, à quoi vous voulez vraiment vous consacrer, quels sont vos objectifs, votre façon de prendre des décisions et les éléments fondateurs de votre personnalité. Vous devenez intéressant et vous devenez précieux, ce qui signifie que vous pourriez tout à coup enseigner aux autres grâce à votre expérience. Cela améliorera grandement votre vie sociale car les gens sont irrésistiblement attirés par des êtres qui se débarrassent de leur pudeur et racontent des choses authentiques. Et avouons-le, c’est bon pour les affaires aussi.
“Pour être soi-même, il faut être quelqu’un.”
Stanislaw Jerzy Lec
A la recherche.. d’équilibre
Routine n’est pas forcément synonyme d’organisation, pas plus que paralysie n’est ordre. Sans ce mettre en mode Guru 3.0 Une des leçons les plus importantes que j’a appris ces dernières années et d’organiser mes tâches et d’optimiser toute ma semaine. Pour la majorité des personnes non habituées, le système « nomade » est pratiquement impossible à tenir au début, étant donner les libertés et contraintes qui y sont liés. Vous devrez organiser vos routines en fonction de ce qui vous convient le mieux, ce qui est essentiel pour trouver un équilibre émotionnel durable. Le plus délicat est de s’y tenir.
Étant des personnes organiques instables par nature, rien n’est prévisible à 100% et vous ne pouvez décider que de la fréquence idéale pour effectuer des changements, en analysant minutieusement l’environnement dans lequel vous vous trouvez par exemple. Commencer la journée avec son petit-déjeuner dans le centre financier de Hong Kong n’est pas la même chose que de le prendre dans un café & bretzel en plein Greenwich Village. Et une fois adapté à votre nouvel écosystème, il ne vous restera plus qu’à optimiser vos heures « productives » pour que votre mode de vie continue d’être rentable et ludique.
L’organisation induit l’efficacité qui elle-même impacte la qualité du temps personnel.
Corinne Ghiridlian-hofmann – Puéricultrice
A la recherche.. d’une tribu
Si vous ne savez pas qui vous êtes, c’est évident qu’il vous sera plus difficile de trouver votre groupe ou tribu. Pire encore, vous pouvez choisir les mauvais compagnons de route. Les êtres humains sont des animaux sociaux qui se rassemblent et forment des groupes basés sur des valeurs et des intérêts partagés. Si vous ne définissez pas vos propres valeurs et intérêts, vous risquez de passer plus de temps seul ou dans une ambiance toxique. Il y a quelque temps, j’ai lu un livre du Mahatma Gandhi contenant un fragment qui venait à dire que le mystique, autrement dit la recherche du voyage intérieur, ne doit pas être séparée de la recherche faite dans le voyage extérieur et social puisque nous ne sommes pas des êtres isolés.
Définir qui vous êtes vous aide à découvrir les groupes sociaux pertinents sur lesquels vous devriez vous concentrer. Par exemple, recherchez des entrepreneurs sans emplacement et des nomades numériques en voyage. Une fois que vous aurez décidé qui sont vos parties prenantes concernées, vous augmenterez considérablement vos chances de nouer de nouvelles « connexions ».
“Tout se meut dans la destinée inconnue ; la vie est universelle et éternelle, et nous sommes une tribu intellectuelle, gravitant avec nos soeurs dans l’espace sans bornes.”
Camille Flammarion / Les Etoiles et les curiosités du ciel
Épilogue
Comme j’ai essayé de l’expliquer, il y a de grands avantages à avoir une idée claire de notre personnalité profonde et de la direction que nous voulons prendre avec la vie que nous avons choisie.
L’identité individuelle, il me semble, concerne avant tout un ensemble de significations issues de diverses contextualisations de soi. Nous devons atteindre un nouveau type de liberté, capable de nous permettre la pleine réalisation de notre propre MOI. La vie ne se déroule plus dans un monde clos dont le centre est l’homme ; le monde est désormais devenu sans limites et, en même temps, menaçant. En perdant sa place fixe dans un monde clos, le nomade n’a plus de réponse aux questions sur le sens de sa vie ; le résultat est qu’il est maintenant victime du doute et de la fin de son existence.
La vie est trop courte pour être ce que vous êtes maintenant. Il faut se sentir chanceux par rapport à notre mode de vie actuel, l’enseigner, l’explorer et le laisser couler, un jour, peut-être au bon moment, on reviendra à une vie plus sédentaire mais la différence c’est qu’on en saura un peu plus sur soi .
On ne peut donner que deux choses à ses enfants : des racines et des ailes.
Proverbe Juif
Le mot de la fin pour Hiro
« Je ne suis plus si jeune et je viens de trouver une bel endroit… J’ai voyagé une grande partie de ma vie en tant que vrai nomade. J’ai parcouru de long en large de nombreux pays, même si j’ai une « foyer » au Japon. Maintenant je pourrais y prendre ma retraite et cultiver le jardin mais je continue à chercher des lieux et des cultures qui puissent attirer ma curiosité et se fondre avec mon énergie vitale.
Hiro – Phi Phi island ( 2011 )
Certains de mes proches m’ont même dit une fois : « Tu changes toujours d’avis sur l’endroit où tu vas vivre. Le simple fait d’imaginer cette situation nous génère beaucoup d’angoisse, car personne ne peut être heureux s’il ne plante pas ses racines quelque part ».
Être incompris m’a dérangé dans le passé. A une époque où le terme « nomade digitale » n’existait même pas surtout au Japon. Mais maintenant, au fil des années, je réaffirme qui je suis, et ce que je serai toujours. Si les autres ne comprennent pas cela, ce n’est pas grave, ce ne sont pas des nomades. Mais ce sont des voyageurs occasionnels… ils voyagent à l’étranger pour s’émerveiller de la hauteur des montagnes, des vagues géantes de la mer, mais ils ne viennent jamais s’émerveiller d’eux-mêmes.
Maintenant, je réside sur l’île de Hokinawa, le secret le mieux gardé du Japon. Dans quelques mois, je partirais (à nouveau) en Thaïlande. Bien que pour moi demain n’existe pas. »
Ben Blanco – Digital Nomad
Article original du site Live Sensei