Auteur : Pekka Himanen avec Linus Torvalds et Manuel Castells
The Hacker Ethic est une œuvre qui donne une autre vision, une autre approche des hackers (le mot est francisé sous la forme de : hackeur ou hackeuse) qui traînent peut-être dans leur sillage des vieilles casseroles, un côté péjoratif cultivé par les médias modernes qui les associent aux crackers.
Dans un climat de suspicion à l’égard des hackers, l’œuvre de Pekka Himanen tente d’apporter une autre vérité, de clarifier cette nouvelle éthique des hackers et c’est là où réside l’importance de ce livre. L’auteur s’évertue à faire rien de moins qu’expliquer au grand public ce que c’est que de réfléchir, travailler, créer et jouer tel un hacker. Les hackers entretiennent donc un rapport passionné avec le travail dont les motivations essentielles se révèlent être le plaisir, le jeu et la passion.
Il est vrai que face à tant de malentendus et à une mauvaise presse autour des hackers, le défi est loin d’être minime, que la tâche est ardue d’autant qu’une certaine image négative s’est ancrée, incrustée dans l’esprit du public.
Pekka Himanen va tenter de monter que c’est loin d’être la vérité. Pour ce faire, il commence par situer la vision du monde des hackers dans l’histoire, pour montrer qu’elle est en contraste avec la vision du monde moderne, focalisée sur le travail, et ensuite, il médite sur l’apport que l’éthique des hackers pourrait offrir à l’humanité.
Même si vous pensez que vous êtes un hacker averti, vous allez apprécier la lecture de ce livre, car il vous permettra de découvrir vos origines spirituelles et les implications sociales positives que l’éthique des hackers apporte à la société moderne.
Ce livre est le résultat d’une collaboration entre 3 amis, le philosophe Pekka Himanen, le hacker Linus Torvalds et le sociologue Manuel Castells. Torvalds s’est occupé du prologue, et a exposé en quelques mots ce qui fait fonctionner les hackers. Himanen a rédigé la plus grande section, celle du milieu. Enfin, l’épilogue écrit par Castells complète le livre en relançant une discussion sur les incidences sociales de l’ère de l’information. Vous y trouverez aussi des notes de fin de chapitre et une bibliographie assez riche et bien renseignée.
Linus Torvalds, hackers et divertissement
Pour tenter de montrer pourquoi les hackers travailleraient en collaboration bénévolement afin de créer quelque chose comme Linux, Torvalds écrit « La loi de Linus« .
Avec un peu d’audace, la loi de Linus disserte sur la problématique du progrès et de l’évolution en tant qu’un mouvement ascensionnel qui suit toute une hiérarchie de motivations : de la survie, à la vie en société, au divertissement. D’après Torvalds, cette dernière étape demeure la plus passionnante, la plus motivante et rend les hackers plus efficaces.
Quand il parle de divertissement, Torvalds ne fait pas uniquement allusion au jeu, au côté ludique, mais par-là, il veut surtout valoriser l’importance de « la gymnastique cérébrale » dans sa volonté « d’expliquer l’univers », que vous soyez Einstein, van Gogh ou un hacker. Au fond, un hacker qui encode un système d’exploitation est comme le physicien qui tente d’expliquer l’univers, car le fait de crypter les paramètres, c’est une manière de prévoir tout ce qui peut arriver. N’est-ce pas une manière de tout expliquer !
Pour Torvald, le hacking est une forme de divertissement qui réunit la passion et le côté ludique en s’adonnant à des activités profondément intéressantes et passionnantes – des activités sur lesquelles les hackers resteront debout tard, car ils adorent les faire, et non parce qu’ils sont limités par un délai de livraison.
Pekka Himanen: les hackers des militants pour la liberté d’expression
Himanen saisit l’occasion pour établir dans un premier temps un distinguo assez subtil entre les hackers et les crackers, les pirates. Et cela revêt une grande importance. En effet, il est essentiel que les lecteurs sachent que ce sont les crackers qui manipulent les ordinateurs pour perpétrer des crimes, faire échouer le commerce en ligne, fabriquer des virus et généralement répandre la pagaille, installer l’anarchie. En un mot, faire tout foirer.
Pour Himanen, les hackers, à l’opposé des crackers, sont investis d’une noble mission. Il tente de montrer que les hackers sont ceux qui « programment avec passion » et qui croient fermement que « le partage de l’information et de leur expertise est un devoir éthique ». Écrire des logiciels libres et faciliter l’accès à l’information et aux ressources informatiques quand cela est possible sont devenus des préceptes de leur éthique.
Il se peut que les limites soient difficiles à définir. On pourrait être prédisposé à croire que l’action de pirater la sécurité d’un système peut parfois être considérée comme un acte éthique empreint de populisme. Himanen reconnaît que la majorité des pirates informatiques ne partagent que quelques parties de l’éthique générale qu’il expose.
Toutefois, il reste qu’avec Himanen, l’éthique générale et cohérente des hackers et ses répercussions peuvent être librement discutées. Et cela est à l’honneur d’Himanen qui accorde une importance à la primauté de la pensée indépendante.
Comment Himanen a-t-il procédé pour faire entrer les lecteurs dans l’univers des hackers ? Tout d’abord, Il commence par étudier la relation des hackers à un universel culturel : le travail. Pour parler de l’éthique de travail des hackers, Himanen examine en même temps un ouvrage culte sur le travail et la culture modernes. Celui de Max Weber qui a brossé dans son manifeste assez ancien d’ailleurs « L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, 1904-1905 » notre façon de vivre actuellement le travail. Mettre l’accent sur notre éthique contemporaine du travail, c’est presque intenter un procès pour dénoncer l’ambiance qui nous encercle jusqu’à ce qu’on se rende compte que cette éthique du travail omniprésente nous a quasiment oppressés.
A contrario, l’éthique des hackers offre une véritable bouffée d’oxygène. En se référant à Weber, Himanen nous révèle qu’avant la Réforme, les comportements en regard du travail et de son apport culturel étaient très différents mais, ils avaient connu un changement avec la propagation du modèle économique protestant.
L’éthique de travail des hackers pourrait produire la même expérience, autrement dit, cette éthique est susceptible de modifier culturellement l’expérience du travail. Tout au moins, elle met l’accent sur la présence d’une autre formule d’expérience du travail.
Himanen vante ici dans cette économie de l’information la façon de travailler des hackers qu’il juge supérieure, sous un angle pragmatique, à l’éthique protestante du travail. Il dit dans ce sens que, dans l’économie de l’information, c’est « la créativité » qui est à l’origine de « la productivité », mais, qu’on ne pourrait pas créer des choses intéressantes à la va-vite, ou de façon réglementée de 9 à 5. Les travailleurs, s’ils se sentent emprisonnés à l’intérieur d’un système contraignant, s’ils sont obligés de pointer plusieurs fois par jour, ne pourront pas être créatifs, exceller dans les projets de leurs passions.
Alors que l’éthique des hackers se déploie dans les arènes sociales et politiques, Himanen fait valoir l’expression et la vie privée en les considérant comme étant les idéaux absolus des hackers dans la sphère publique, en particulier sur le Web. Ces idéaux sont incontournables parce qu’ils sont indispensables pour s’opposer à la réglementation extérieure et à une gestion excessive. Dans le domaine public, ce sont le gouvernement et les entreprises qui imposent ces règlements. Or, le fait de fixer des règles et de contrôler l’expression par les gouvernements, même si au départ l’intention était bonne, va généralement contribuer à faire transmettre le message que les individus n’ont pas encore assez de maturité pour exploiter la communication sans conseils ni suivis.
Le travailleur qui ne pourrait pas travailler sans être protégé ne pourrait pas non plus s’impliquer sans protection dans le domaine public. Si la vie privée n’est pas protégée, les entreprises privées pourront créer et créeront certainement des profils types de consommateurs qu’ils vont vendre par la suite au plus offrant.
Par conséquent, Il sera tout à fait simple d’examiner à la loupe le mode de vie des travailleurs et des demandeurs d’embauches. Et le message qu’on fait passer est : soit vous n’êtes pas assez perspicace pour devenir un bon consommateur sans nos conseils et notre soutien, soit les employeurs peuvent non seulement gérer votre temps de travail, mais ils peuvent aussi avoir autorité et intervenir pour vous orienter sur la manière de passer votre temps libre en dehors du travail.
Himanen fait le récit des hackers célèbres qui luttent pour instaurer la liberté d’expression et la protection de la vie privée et cela de manière modeste et pacifique, mais également émouvante, comme au Kosovo où les hackers ont joué un rôle déterminant pour protéger la liberté d’expression.
Manuel Castells : Hackers et la société en réseau
L’épilogue de Manuel Castells clôture cette œuvre par une discussion plutôt théorique sur les modèles sociétaux qu’il voit sortir de la nouvelle infrastructure économique véhiculée par la nouvelle technologie – une approche inédite du concept marxiste qui stipule que l’infrastructure détermine les formes culturelles.
Dans cette partie où prévaut la dimension intellectuelle, Castells a été très convaincant. Il révèle avec une parfaite volubilité comment les entreprises, les industries de même que les nations travaillent et s’organisent à l’instar des réseaux dynamiques, où les travailleurs et les dirigeants se reprogramment en permanence pour exécuter de nouvelles missions et atteindre de nouveaux objectifs.
Dans ces réseaux devenus la nouvelle morphologie sociale, les employeurs réels des travailleurs sont des projets faisant partie d’un réseau plutôt que des entreprises. En devenant de plus en plus puissants et efficients, essentiellement tournés vers l’objet, ces réseaux privilégient le travailleur performant qui est capable de se reprogrammer en permanence. Pour la majorité des travailleurs, la technologie a essentiellement aidé à optimaliser la quantité de travail nécessaire qui peut être accomplie en une journée. Tandis que Ben Franklin affirmait que « Le temps c’est de l’argent », aujourd’hui avec la pression du temps, Himanen, lui, écrit que les « unités de temps encore plus courtes sont de l’argent ».
L’Éthique des hackers ne propose pas uniquement une description judicieuse, précise de la vision du monde des hackers, mais ce manifeste nous révèle aussi les diverses directions où les hackers pourront s’activer pour aider à s’opposer à quelques-unes des répercussions inhumaines de cette « société en réseau ».