Gustave Le Bon (1841-1931) a écrit, entre autres ouvrages : la Psychologie des foules et la Psychologie des révolutions.
Je vais essayer de résumer les deux lectures. La première chose à dire est que le texte Psychologie des foules (1896) a servi de base à La psychologie des foules (1921) de Sigmund Freud. Freud commence la sienne par de nombreux paragraphes, répartis dans les premières pages, et critique de manière surprenante le fait que l’auteur n’ait rien dit que d’autres n’aient dit auparavant, ce qui met Freud en très mauvaise posture.
S’il n’a rien dit de nouveau, pourquoi a-t-il repris tant de paragraphes à Le Bon ? Par ailleurs, Le Bon cite ses références dans son ouvrage, dont celles de l’historien Taine. Le pire de ce fait, c’est qu’à la fin de son texte, Freud fera l’éloge du travail de Le Bon à deux reprises, et je dis le pire, dans le sens où il n’a pas fait quelque chose de bien au début, alors qu’à la fin il ne peut pas ne pas lui donner le mérite correspondant.
Je sais que ces détails peuvent sembler mineurs, mais ils ne le sont pas. Tout ce qui s’est passé nous renseigne sur la justesse de l’analyse de Gustave Le Bon, qui, logiquement, écrit depuis une position bourgeoise et pour un public de lecteurs bourgeois, à une certaine époque, et ici au lieu de censurer cette nuance, nous en appelons à l’interprétation qui , à partir d’un autre moment historique, le nôtre, nous pouvons le faire, en essayant d’obtenir ce que cela peut valoir pour celui-ci.
Ces précisions apportées, j’entame le commentaire sur la Psychologie des foules.
Déjà dans l’introduction il annonce : « Les hommes sont gouvernés par des idées, des sentiments et des coutumes ». Cette pensée est proclamée redevable d’une approche de base pour le texte général. Bien qu’à un moment donné les révolutions puissent être criminelles, parce que la foule peut agir violemment, la vraie révolution est généralement dans le changement d’idées (aujourd’hui on dirait de « paradigmes ») : religieuses, scientifiques et sociales. Les révolutions sociales et religieuses, par exemple la Révolution française et le protestantisme, nous sont plus familières. Les scientifiques les plus lents à être produits sont aussi ceux qui, avec le temps, modifient le plus directement la vie des gens.
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Derrière toutes ces révolutions, sans exception, bien que d’autres explications puissent être données, et que Le Bon propose d’autres justifications, la plus importante est le « mécontentement ». Ce n’est généralement pas un jour mais des années et des siècles.
Le terme « masse » sert à l’auteur pour expliquer un groupe de personnes qui, dans une situation donnée, peuvent se déplacer pour faire quelque chose dans un but précis. Certains seront consciemment motivés, et les autres inconsciemment ; ce seront eux qui agiront par suggestion et illusion.
De nombreux politiciens ont su utiliser cet effet, comme ce fut le cas avec Hitler. De qui il n’y a aucun doute, qui a lu ce travail.
Par exemple, dit Le Bon, qu’une foule qui reste assise n’est pas la même qu’une autre qui est debout. Que les marches et les chants contribuent aussi à le mettre en mouvement, à vibrer à l’unisson. Rappelons-nous les mises en scène théâtrales d’Hitler, que Le Bon ne connaissait pas, et l’on verra qu’en plus de répondre à ces exigences, en général, il les convoquait au crépuscule quand les gens, après une journée de travail, étaient plus fatigués et plus disposée à se laisser emporter par les pensées d’autrui ou, du moins, à abandonner des idées que peut-être, à un autre moment, elle n’admettrait pas. Surmontez le « mécontentement ».
Comment? Avec des crédits internationaux et la promotion de l’industrie militaire, avec laquelle il a obtenu un grand nombre d’emplois.
Qu’a-t-il apporté d’autre ?
L’idéal de quelque chose de grand, une grande nation allemande qui ne serait plus jamais vaincue et humiliée comme lors de la Première Guerre mondiale, et surtout promise à une puissance colossale. Ecrit de cette manière, il rappelle les problématiques actuelles préoccupantes liées à la militarisation de certains pays, les guerres économiques, il ne s’agit pas tant pour l’instant de conquérir un territoire que d’un marché, et la prétendue imposition de la mondialisation. Sujet que je n’entrerai pas maintenant pour valoriser.
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Si Le Bon avait vu le nazisme, il aurait simplement dit qu’il faisait appel aux « sentiments » et désirs les plus inconscients des gens, mais on pourrait aussi dire les plus basiques (un salaire, vivre), car sans eux on ne peut pas faire bouger les masses J’avoue que je n’ai jamais aimé le mot «masse» et qu’il me répugne autant que «race», ce qui n’empêche pas l’un et l’autre de se situer sous la réalité présente, éclos de manières très différentes. Dans ce cas, je pourrais aussi dire que je n’aime pas la « foule », parce que je pense que c’est dilué, le sens qu’on peut donner à la « masse » et qui inclut, celui d’une certaine « manipulation », quelque chose qui même la presse peut jouer avec un succès remarquable.
Si l’on compare ce temps, théâtral en termes de mise en scène des sentiments publics et de leur contrôle, et les émotions du public dans les programmes télévisés où l’on débat des politiciens du présent, je pense que, même si certaines émotions sont acquises et certains sentiments sont émus, avant le la télévision, être à la maison, assis, à l’aise et peut-être grignoter de la nourriture, ne pourra pas émouvoir beaucoup de volontés.
A la vieille histoire des gens allant à Versailles pour chercher ce qu’on leur avait dit qu’il y avait là, du pain, aliment de base à cette époque pour la plupart, et bien que le pain n’ait pas été pris, si le roi qui s’est retrouvé à Paris, il faut ajouter ces données, antérieures, que Le Bon signale :
« l’influence des écrits philosophiques précédents » (Voltaire, Diderot, Rousseau…) ; «les impositions de la noblesse» qui n’acceptaient pas les bourgeois comme égaux, dont beaucoup étaient encore plus riches que ceux-là; « progrès scientifique » (héliocentrisme, nouvelles mathématiques, nombre de livres publiés depuis le protestantisme et, en France, surtout, l’Encyclopédie et d’autres types de volumes d’histoire naturelle). En dehors de ce que j’ai déjà ajouté comme précision personnelle, à celle indiquée par l’auteur, et juste pour étoffer les références, j’indiquerais que le seul « domaine » de la population qui payait des impôts était celui des paysans, ils les payaient au roi, et au clergé par la dîme, et les deux étaient obligatoires.
Pour apprécier cette corrélation du « mécontentement » à travers les années et les siècles, et c’est important, la durée de ce mécontentement, je voudrais rappeler Thomas More, un homme d’État anglais, qui écrivit en 1515 son Utopie, la première des son genre, où il racontait la vie d’une communauté idéalisée dans laquelle les paysans, ceux dont tous les autres vivaient, étaient respectés et soignés dans la vieillesse, grâce au fait que tous les habitants, sans exception, devaient travailler six heures par jour. Utilisez cette indication pour comprendre comment les maux se perpétuent dans le temps sans leur donner de solution jusqu’à ce qu’ils explosent.
Mais Le Bon parle essentiellement de la France. Et il fait une réflexion très importante : les masses sont «conservatrices». Comme le dit Le Bon, « il faut des siècles pour former un système politique et des siècles pour le changer ». Regardons en arrière : combien de temps a duré ce que nous appelons le « féodalisme », combien de siècles le « capitalisme » a-t-il déjà eu ? Les modifications ne peuvent pas être apportées du jour au lendemain.
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Une messe est « un troupeau servile » qui a besoin d’un « membre de gang » pour la faire avancer. C’est ainsi que Le Bon l’exprime. Le membre du gang pourrait être un bon berger, mais ce n’est généralement pas le cas. Il a généralement ses propres intérêts et est entouré d’un groupe d’amis qui imposent leur empreinte, leurs désirs et leur morale, qui peut être aussi basse qu’on peut l’imaginer, comme ce fut le cas avec le nazisme. Albert Camus appelait cela « la morale des gangs ».
Le membre du gang et ses amis, quand les tables vont bien pour eux, font appel à leur prestige (promotion), à leurs victoires, et attendent l’obéissance grâce à ceux qui les rejoignent. Mais, et c’est là le problème, les masses ne sont pas reconnaissantes. Les masses, quand le pouvoir qu’elles avaient autrefois est perdu ou quand le prestige pour lequel elles ont rejoint un mouvement est réduit, elles changent d’avis. Car la masse qui est fondamentalement « conservatrice », celle qui bouge quand tout a déjà commencé, celle qui embarque dans le train du succès, celle-là, n’est fidèle qu’à elle-même jusqu’au bout. Et son truc, c’est d’être conservateur.
Comme aujourd’hui, l’éducation est généralisée et standardisée, la variation mentale que les multitudes pourraient avoir aujourd’hui sur un territoire spécifique est minime, car la pensée et l’opinion communes sont similaires. De plus, Le Bon précise : « Un dirigeant seul est rarement en avance sur l’opinion publique », l’habituel est l’inverse.
Enfin, j’ajouterai quelques lignes en commentaire de La psychologie des révolutions. De la classification des révolutions, nous avons déjà mentionné leur division en révolutions religieuses, sociales et scientifiques. Un détail, ils commencent généralement en haut, pas à la ville ; J’ajouterai simplement qu’ils commencent généralement par ceux qui connaissent le mieux la situation et ceux qui assument la nécessité du changement, dans le cas de la Révolution française, les propriétaires bourgeois, pas les gens qui n’avaient rien. Les bourgeois qui n’avaient pas le signe de pertinence que la noblesse détenait dans son intégralité, car ils pouvaient avoir de la richesse, mais ils n’avaient pas la distinction que confère la noblesse.
En effet, bien que les mots « justice, liberté, fraternité » aient été proclamés, la Révolution n’a pas rendu les femmes égales aux hommes, laissant la moitié de la population sans droits, bien qu’elle ait garanti les droits de propriété des hommes bourgeois, après avoir pillé une partie de la richesse du clergé et de la noblesse, quelque chose qui leur serait ensuite restitué, environ un quart, par Napoléon.
Le changement qui a eu lieu de la constitution de l’Assemblée nationale, à l’Assemblée constituante, l’Assemblée législative, la Convention, le Directoire, le Consulat de Napoléon et son couronnement ultérieur, les guerres en Europe avec la Prusse et l’Autriche, plus l’expansion impérialiste , s’est produit en quelques années, et ce fut un pas en arrière sous différents aspects, bien que, sans aucun doute, une avancée irréversible dans d’autres, comme dans la constitution des futurs États et l’union bourgeoisie-démocratie parlementaire, dépassant celle des électeurs.
Bien que l’ouvrage de Le Bon soit dédié à ses pairs, il n’hésite pas à souligner les changements intervenus dans les différentes constitutions intervenues. Dans la Constitution de 1789 l’art. 1 de la Déclaration des droits stipulait que « les hommes naissent et demeurent libres et ont les mêmes droits » ; dans la Constitution de 1793, article 3, il précise que « Tous les hommes sont égaux par nature », et dans la Constitution de 1795, que l’article 3 dit simplement : « L’égalité consiste en ce que la loi est la même pour tous. « tout le monde ». Au final, tous les mouvements se trahissent-ils ? Quelque chose à quoi penser.
Détail important souligné par Le Bon, une Révolution n’est pas possible si l’armée n’y participe pas ou si elle ne s’abstient pas. Et ce n’est pas quelque chose qui peut arriver du jour au lendemain. Aux faits qui viennent d’être cités, il faudrait ajouter un facteur tel que l’analphabétisme (l’auteur n’indique rien à cet égard lorsqu’il analyse la Révolution française, ni ne prend en compte les femmes). Mais l’analphabétisme à cette époque était de 70% et les paysans vivaient dans la misère, tandis que la révolution industrielle et l’expropriation des terres communales les poussaient vers les villes, les transformant en ouvriers dans de grands ateliers. Dans son ouvrage Money (1913), Péguy (1873-1914) écrit : « Il n’y a plus de ville. Ils sont tous bourgeois. Nous avons connu et touché la vieille France. Qui le croira ? (…) Le monde a moins changé depuis la venue de Jésus que dans les trente dernières années».
Permettez-moi d’apporter une autre précision qui, à ce stade, me paraît nécessaire : si la Révolution de 17 s’est installée en Russie, c’est à cause des conditions dans lesquelles vivaient les paysans, serfs jusqu’à la deuxième génération inclus, et analphabètes, la soi-disant « gleba » (« motte de terre »), qui pouvait être vendue avec la propriété ou séparément, en fait, ces personnes étaient vendues sur les marchés aux bestiaux. Rappelons-nous la position de Tolstoï, ses conflits personnels et ceux qu’il a eus avec sa famille et le tsarisme, qui l’ont finalement conduit à la libération de tous les serfs de sa terre et à leur créer une école, ainsi qu’une défense publique des droits fondamentaux .
En résumé: deux travaux actuels, pour lesquels le temps a laissé ce sentiment que les faits changent peu et qui nous parlent de manipulation, et aussi de comment sous le moment superficiel des événements il y a des croyances fixes qui sont conservées pendant des siècles. Croire que, parce qu’à un moment donné il peut y avoir un changement social superficiel, il sera consolidé, c’est ne pas connaître ces lois non écrites.
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Article original du site Live Sensei